Par Lucien, français vivant à Wuhan

Wuhan, le 10 février 2020

C’est la rentrée !

Ce matin, mon téléphone a sonné, une des institutrices de la classe maternelle de mon fils a posté un message dans le groupe sur la messagerie instantanée QQ*, servant de liaison entre les institutrices et les parents d’élèves. C’était une vidéo nous indiquant les mouvements de gymnastique matinale et une liste d’activités à leur faire faire. C’est le premier jour du nouveau semestre scolaire dans Wuhan toujours en quarantaine. Pour les maternels, ce sont plus des directives qu’autre chose, mais pour les écoles primaires, collèges et lycées, c’est plus sérieux. Cours en ligne, devoirs prévus. De quoi occuper les enfants… et leurs parents.

Car le plus gros souci dans notre situation, comme nous l’avons réalisé au bout de quelques jours, c’est l’ennui. 

Le ravitaillement, au final c’est gérable, et le gouvernement s’efforce de décourager l’inflation excessive. Les wuhanais découvrent l’intérêt des conserves et des légumes surgelés, tandis que des initiatives de distribution de nourriture se mettent en place. Pas forcément gratuites, s’entend, mais les prix ne sont pas exorbitants. À quelques exceptions près, la population de la ville fait preuve de solidarité et d’un grand civisme. La dématérialisation entamée de la société de consommation chinoise est également un atout. Les commandes en ligne et les livraisons, interrompues par les vacances du Nouvel An, se remettent progressivement en place, avec des garanties sanitaires supplémentaires et une légère perte en praticité. En effet les livraisons à domicile ne sont plus vraiment possibles, les résidents craignant que les livreurs apportent la contagion, et les livreurs craignant eux-mêmes le risque posé par les multiples rencontres quotidiennes.

Donc l’ennui (peut-être devrais-je écrire l’Ennui, tant il est présent?) ne nous quitte pas. Pour les enfants, c’est lassant de rester à la maison. Et pour les adultes, c’est lassant de rester à la maison avec des enfants qui s’ennuient. Si personnellement, j’ai toujours de quoi m’occuper, lecture, loisirs, cuisine, vaisselle, lessive… pour mon fils, c’est plus dur. Actif, pas encore à l’âge auquel on se plonge dans les livres, il est demandeur de compagnie. Legos, jeux, dessin, musique, appels vidéo avec la famille, ses camarades… Le fait que les communications et un bon nombre de services sont disponibles en ligne depuis quelques années a heureusement permis la mise en place d’activités dématérialisées pour occuper et stimuler les enfants. À titre d’exemple, l’école d’art de mon épouse offre une série d’ateliers virtuels, avec des professeurs pour donner des consignes, des exemples, des conseils et des retours sur les travaux des enfants. Des centres de formation en langues mettent également en place un retour progressif de leurs activités via des plateformes en ligne, puisque les cours en présentiel ne seront pas d’actualité avant au moins plusieurs semaines encore.

Puisqu’on ne peut pas trop sortir, en tout cas pas se réunir, les liens sociaux se maintiennent grâce à la dématérialisation des échanges, aux groupes de discussion sur WeChat*. 

Le ravitaillement rendu difficile par la densité de l’habitat et par la promiscuité des habitants, nous sommes amenés à rencontrer virtuellement nos voisins afin de subvenir à nos besoins. Cette situation nous rapproche les uns des autres et nous permet de créer de nouveaux liens.

Moi qui ai toujours vécu, ici, un peu à l’écart des lieux fréquentés par la communauté française de Wuhan, plus par hasard que par volonté de l’éviter, je suis désormais en contact avec ceux qui ont décliné le rapatriement.

Bien évidemment, l’ennui stimule aussi les imaginations, et une information mal comprise se transforme en conseil idiot, puis en rumeur qui se propage. Je ne compte plus le nombre de messages appelant au silence dans les groupes de discussion sous peine de suppression immédiate du groupe concerné et de tous les comptes ayant participé, les médicaments présentés comme efficaces pour traiter le virus, que les moins sceptiques achètent en masse, les informations et conseils plus ou moins farfelus sur la manière de se protéger etc.

Durant la quarantaine, les déplacements sont libres au sein d’un même quartier, mais soumis à l’obtention d’une autorisation de la mairie entre deux quartiers. Cela peut sembler drastique, mais au final, l’organisation de la ville et des quartiers qui mettent les services et commerces à proximité des habitants rendent plus faciles le quotidien. Seul les trajets jusqu’au bureau ou jusqu’à l’école peuvent être perturbés, mais comme les entreprises et les établissements scolaires n’ont pas encore l’autorisation de reprendre, cela ne se fait pas encore sentir.

Autre note positive, la baisse actuelle de livraison de repas à domicile fait qu’on redécouvre le plaisir de cuisiner soi-même. Mes baguettes de pain sont de plus en plus réussies, et disparaissent de plus en plus vite.

On découvre aussi Wuhan sous un autre jour, ses rues vides sont pleines de charme.

* QQ et WeChat sont des réseaux sociaux chinois. QQ est l’équivalent de Messenger, WeChat pourrait être comparé à Facebook.

Wuhan déserte. Photo circulant sur les réseaux sociaux

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