La tragédie 悲剧

Le terme 悲剧 (beiju), apparu au début du XXème siècle, est emprunté au japonais pour traduire l’idée de tragédie occidentale.
Les chinois se sont rendus compte en étudiant leurs textes qu’eux aussi possèdent une œuvre tragique, comme en Occident et utiliseront donc ce même terme pour désigner des pièces théâtrales et le concept de « tragique ». 

Tragique (悲剧性的 beiju xingde): concept qui transcende la création de l’homme évoquant la question du mal, de la douleur, du malheur. 

La critique dramaturgique chinoise jusqu’à la fin des Qing n’élabore pas réellement une distinction entre comédie (喜剧 xiju) et tragédie.
Néanmoins des tentatives de classifications virent le jour, comme par exemple, à l’initiative de Zhu Quan 朱权 : prince, fils du premier empereur des Ming (Zhu Yuanzhan). Il fut, entre autre, dramaturge et écrit un ouvrage critique en 1398 sur le théâtre des Yuan. Il y classe les œuvres théâtrales chinoises en 12 catégories thématiques.

Les distinctions reposent soit sur les protagonistes (immortels taoïstes, créatures surnaturelle etc) soit sur les thèmes (chasteté féminine, piété filiale etc). La 10ème catégorie : pièces où apparaissent le mot « 悲 », on parle de « 悲欢离合 », c’est à dire des pièces pas uniquement centrées sur la tristesse car « 欢 » est le contraire de « 悲 ». (Exemple : si une pièce est basée sur la séparation, on y trouvera forcément le concept de réunion.)

Diverses critiques marginales et jugements isolés se font entendre par la suite : un critique des Ming dira que c’est beaucoup plus simple de faire rire au théâtre que de faire pleurer, un autre critique dira que seules les pièces tristes sont le reflet authentique de la vie. 

Ainsi, trois thématiques cruciales établissent la définition de la tragédie à la chinoise :

  • L’ethos du héro 

Les personnages du théâtre Yuan contiennent toujours un personnage vertueux/positif (正末 et 正旦). Ils n’incarnent pas de passions : rage, jalousie, vengeance (Macbeth, Hamlet) mais toujours des valeurs éthiques (chasteté, vertu, piété filiale) inscrites par essence dans leurs rôles dans la société.

  • Le conflit 

Généralement , un conflit entre 2 forces antagonistes est mis en place : d’un côté les bons (héro) et les méchants (le mal). Une certaine tradition fait que le héro est bon du début à la fin, de même que le méchant le reste. Ce conflit bien/mal est plutôt mélodramatique

Le conflit tragique lui est un conflit entre 2 valeurs, ayant la même légitimité. Ce conflit rend donc très compliqué le choix du protagoniste. Le plus souvent, le conflit se joue entre une valeur privée et une valeur publique, mais il n’est pas développé par le héro qui choisit systématiquement la valeur publique au détriment de l’instinct personnel.

  • Le dénouement final 

Les drames chinois finissent toujours par une note d’apaisement car la loi de la rétribution est appliquée et le méchant est donc toujours éliminé. Il y a un retour à l’harmonie et à la vertu, après la souffrance et les morts. Le retour à la justice et à l’ordre est inévitable après les tourments. La vie reprend son cours.

De cette façon, la tragédie est un lieu où le spectateur se retrouve face à un monde où des innocents sont coupables et des coupables sont innocents, ce n’est pas un monde binaire, symétrique et harmonieux. La tragédie est ambiguë et est un lieu d’interrogations sur la condition humaine, et la complexité d’être homme pas un endroit d’absolue vertu. Vu ce contexte, il est difficile d’appliquer ce terme à l’œuvre chinoise. Le contexte chinois n’a pas permis d’élaborer une telle vision du monde. C’est donc assez problématique de parler d’une transcription de la tragédie occidentale en Chine. 

Des pièces de théatre-opéra chinois (communément appelé 杂剧 zaju) aux caractéristiques tragiques du style 悲剧 beiju seront publiées principalement sous les Yuan (1279-1368) telles que « L’orphelin de la famille Zhao », « Automne au Palais des Han » ou encore  » Dou E Yuan ».